Les assises de l’interculturalité ou la négation de l’universalisme laïque au profit du différentialisme culturel.

Prise de Position du Réseau d’Action pour la Promotion d’un Etat Laïque
Les assises de l’interculturalité ou la négation de l’universalisme laïque au profit du différentialisme culturel.

Sans surprise, les Assises de l’interculturalité viennent d’accoucher d’un volumineux rapport qui, en ce qui concerne la gestion de la diversité des convictions religieuses, privilégie clairement l’approche multiculturelle et différentialiste. D’entrée de jeu, il est ainsi précisé que les trois principes fondamentaux dans une société démocratique que sont l’égalité entre citoyens, la lutte contre le racisme et la xénophobie, et l’égalité de l’homme et de la femme, « ne sont effectivement pas absolus, ils coexistent avec d’autres principes, ce qui parfois entraîne la nécessité d’une mise en balance. ». L’école Concernant les cours dits « philosophiques », le comité de pilotage souligne à juste titre que « cette organisation séparée a pour inconvénient d’empêcher une connaissance des différentes traditions et, a fortiori, le dialogue entre elles. Or les citoyens d’une société pluraliste et interculturelle ne doivent pas seulement connaître leur propre tradition, mais aussi celle de l’autre – y compris la tradition laïque ». Il s’empresse cependant de préciser qu’il « ne met pas en cause leur utilité dans la structuration spirituelle des élèves à l’intérieur de leur propre tradition convictionnelle », et se borne à suggérer l’introduction d’un cours spécifique, voire d’un réaménagement des cours généraux. Un voeu pieux, de toute évidence. Le R.A.P.P.E.L. préconise quant à lui le remplacement des cours de morale et de religion par un cours commun où tous, sans distinction aucune, se trouveraient rassemblés autour d’un projet essentiel : celui de faire de chacun un citoyen libre et responsable et une conscience autonome douée d’esprit critique. Concernant les signes religieux à l’école, « le Comité de pilotage préconise la liberté généralisée du port de signes convictionnels par les élèves pour les trois dernières années de l’enseignement secondaire, et l’interdiction complète jusqu’aux trois premières années du niveau secondaire. ». Désormais, si l’on suit les recommandations du Comité de pilotage, il sera donc interdit aux établissements scolaires d’interdire le port de signes religieux aux élèves dans l’enseignement secondaire supérieur. Ce faisant, le Comité de pilotage inflige un véritable camouflet aux nombreuses directions d’écoles qui ont résolu d’interdire totalement les signes religieux suite aux difficultés importantes qu’elles rencontraient sur le terrain. Ces directions d’école avaient pourtant adopté une décision claire, précise, efficace et porteuse d’égalité entre tous et toutes. Le Comité se prononce également en faveur de l’autorisation des signes religieux dans l’enseignement supérieur, laissant ainsi supposer que l’interdiction desdits signes serait inacceptable même pour de futurs enseignants. Le métier d’enseignant exige pourtant le respect de la neutralité telle que définie dans le décret du même nom, notamment en s’abstenant de témoigner en faveur d’un système religieux… Concernant le calendrier des congés scolaires, le Comité de pilotage plaide pour l’adoption d’un système déjà d’application en Flandre, qui donne droit aux élèves à une absence justifiée pour participer à des jours de fête «  inhérents à la conviction religieuse de l’élève telle qu’elle est reconnue par la Constitution ». Si le Le R.A.P.P.E.L. souscrit à l’idée de congés « flottants » dans la sphère professionnelle, il estime en revanche que le calendrier scolaire doit valoir pour tous, quelles que soient les convictions religieuses des uns et des autres, et qu’il ne saurait donc être question de congés différenciés. Une position contraire est non seulement difficilement gérable, mais rigoureusement anti-laïque. Les accommodements dits « raisonnables » Comme on pouvait s’y attendre dès lors que l’appel à projets lancé auprès des institutions et des associations susceptibles d’être partenaires des Assises prévoyait notamment que « les projets introduits doivent promouvoir l’accommodement raisonnable », le Comité de pilotage invite à étudier plus avant les éventuels avantages et inconvénients qu’offrirait l’extension du concept d’aménagements raisonnables, tel qu’il est défini dans la loi du 10 mai 2007, afin que ces aménagements ne concernent plus seulement les personnes handicapées, mais qu’ils puissent aussi être appliqués à d’autres situations, notamment celles liées à la conviction religieuse ou philosophique. ». C’est introduire une confusion regrettable entre une situation de handicap, que la personne n’a pas choisie et dont elle ne peut se débarrasser des effets pendant le temps où elle exerce ses fonctions professionnelles, et les convictions religieuses. Rappelons que le principe des accommodements raisonnables fait obligation à l’employeur (qui peut être l’Etat) de tenir compte des convictions religieuses de l’employé qui en fait la demande, sous peine d’être accusé de discrimination religieuse. Même si certaines conditions sont censées encadrer cette pratique, il est aujourd’hui patent qu’elle mène à accorder un surcroît de légitimité à des revendications présentées comme religieuses, parfois au détriment de principes fondateurs tels que l’égalité des sexes ou l’égalité entre les citoyens. Le R.A.P.P.E.L. s’oppose donc fermement à l’introduction des accommodements raisonnables dans le système législatif belge. La neutralité de la fonction publique Le Comité de pilotage se positionne « en faveur d’une autorisation généralisée du port de signes convictionnels pour tous les agents de la fonction publique (peu importe qu’ils soient en contact ou pas avec le public), à l’exception d’une exigence de neutralité exclusive d’apparence aux seules fonctions qui disposent d’un pouvoir de coercition à l’égard des citoyens ou dont les décisions peuvent affecter de façon majeure leur existence. ». Outre qu’une telle formulation laisse non tranchée la question du port de signes religieux par les enseignants (au mépris de l’esprit des décrets « neutralité »), elle bat en brèche la nécessaire impartialité des agents des services publics, y compris dans leur apparence, laquelle est pourtant constitutive du service. De plus, la distinction proposée est un non-sens car elle serait, susceptible, effet incroyablement pervers, d’interdire l’égalité des agents pour des raisons de convictions personnelles, puisqu’ils ne pourraient accéder ou être promus à certaines fonctions, par exemple. Cette distinction serait en outre concrètement ingérable et source de multiples tensions au sein des services publics. Pour le Comité de pilotage, seules les fonctions régaliennes (armée, justice, police) nécessitent une neutralité d’apparence. Le R.A.P.P.E.L. défend quant à lui la nécessité d’une stricte neutralité pour tous les fonctionnaires, agents de l’Etat et autres mandataires publics. L’indispensable neutralité de service ne peut faire l’impasse sur une neutralité d’apparence, qui est un préalable symbolique incontournable. Conclusion D’une manière hélas prévisible compte tenu de sa composition, le rapport du Comité de pilotage des Assises de l’interculturalité évacue totalement le principe de séparation du religieux et du politique, desquels découlent logiquement l’exigence de stricte neutralité de la fonction publique et le refus de toute immixtion du religieux dans la sphère institutionnelle, en ce compris à l’école. En lieu et place, il propose d’institutionnaliser le différentialisme culturel par le biais des accommodements raisonnables. Le R.A.P.P.E.L. déplore que ce faisant, les Assises de l’interculturalité aient fait la sourde oreille aux multiples voix qui s’élèvent dans la société belge, mais aussi partout dans le monde, pour rappeler que vivre ensemble ne se construit pas par une politique différentialiste qui relativise les acquis fondamentaux des démocraties modernes, mais par l’affirmation d’un socle commun de valeurs et de principes non négociables, parmi lesquels l’égalité de droits et de devoirs, quels que soient notre sexe, notre origine ethnique ou nos convictions. Pour le R.A.P.P.E.L., Yvan Biefnot Farouk Boustami Dominique Celis Elie Cogan Catherine François Sophie François Nadia Geerts Lara Herbinia Philippe Schwarzenberger Fatoumata Sidibé Larissa Van Halst Georges Verzin Willy Wolsztajn  

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