Signes convictionnels

ARCC 8 mars – RAPPORT  fait au nom des commissions réunies de la Santé et des Affaires sociales par Mme Fatoumata SIDIBE (F) et M. Vincent LURQUIN (F)

Le rapport est disponible ici.

Le compte rendu intégral de la séance plénière du 30 mars  2012 est disponible ici

  • Proposition d’ordonnance de MM. Didier Gosuin, Vincent De Wolf, Mme Françoise Schepmans, MM. Michel Colson, Serge de Patoul et Jacques Brotchi modifiant la loi organique du 8 juillet 1976 des centres publics d’action sociale visant à interdire le port de signes convictionnels par les membres du personnel des centres publics d’action sociale de la Région de Bruxelles- Capitale et des associations hospitalières de la Région de Bruxelles-Capitale.
  • Proposition de résolution de MM. Didier Gosuin, Vincent De Wolf, Mme Françoise Schepmans, M. Michel Colson, Mmes Jacqueline Rousseaux et Cécile Jodogne visant à interdire le port de signes convictionnels au sein des services du Collège réuni de la Commission communautaire commune.

Mon intervention se trouve ci-dessous :

Hasard du calendrier ? Aujourd’hui, la journée internationale des femmes est  célébrée, à travers le monde. Et au regard du sujet qui nous réunit aujourd’hui, je voudrais partager avec vous quelques constats. Il y a d’abord l’indignation de mes sœurs du Mali, pays d’où je suis originaire.

Les femmes maliennes attendaient,  depuis plus de dix ans, la révision et l’adoption d’un Code de la famille qui respecterait leurs droits fondamentaux.  Car le Mali a ratifié de nombreuses conventions et traités instruments régionaux de protection des droits de la femme.

Or, le 2 décembre 2011, l’Assemblée nationale malienne a adopté un texte qui, au contraire, nous fait reculer de 50 ans.

Rétroacte : un premier projet du Code de la famille, qui avait fait l’objet de longues années de réflexions et de concertations entre les différents acteurs de la société malienne, avait été adopté par l’Assemblée nationale en août 2009. Mais sous la pression des forces conservatrices,  sous la houlette du Haut Conseil Islamique, il y a eu  une mobilisation massive jamais égalée au Mali pour protester contre un code satanique.  Le Président avait décidé de ne pas le promulguer et l’avait renvoyé en deuxième lecture aux députés au nom de la paix sociale, de l’unité nationale, de la préservation des valeurs sociales et religieuses maliennes.

Le texte modifié a bénéficié cette fois de l’aval du Haut Conseil islamique, alors que les revendications du Haut Conseil islamique, l’instance suprême des organisations islamiques du Mali, les revendications des acteurs et des actrices de la société civile malienne aient été ignorées.  Avec l’adoption de ce texte, le Mali a raté une occasion de progresser vers le respect des droits des femmes.  Pis, l’adoption de ce texte compromet fortement l’espoir de progrès vers le respect des droits des femmes maliennes. Même les droits qui avaient été acquis depuis 1962 et 1973 ont été remis en cause dans ce nouveau Code des personnes et de la famille. C’est un recul de 50 ans.

Mais cela n’est que la résultante d’une longue et pernicieuse progression de l’intégrisme islamique avec comme corollaire la prolifération du port du voile,  de la burqa.

Selon le nouveau Code, « la femme doit obéissance à son mari » et l’homme est consacré comme unique chef de famille (« puissance paternelle »). L’âge légal du mariage est de 18 ans pour l’homme et de 16 ans pour la femme. Par ailleurs, dans certains cas, le mariage peut être autorisé à partir de 15 ans. En outre, le mariage religieux est désormais juridiquement reconnu.

En Tunisie,  avec le Code du Statut Personnel  proclamé par Habib Bourguiba, déjà  en 1957 ce pays a été à l’avant-garde des droits des femmes. Malgré ses nombreuses insuffisances, le code a fortement permis l’émancipation de la femme tunisienne, comparativement aux femmes du monde arabe. Aujourd’hui, les femmes tunisiennes  doivent défendre leurs droits mais surtout garder leurs acquis.  La question de la femme, de ses droits, de sa perception et de sa place dans la société est au centre de tensions car se profilent une perception et une place de la femme qui va de pair avec la perception de la religion musulmane, accolée à une société encore majoritairement patriarcale.  En toile de fond, le port du voile, de la niqab et l’application de la Charia. Dans le monde arabe, les femmes craignent aujourd’hui pour leurs droits avec la montée des islamistes, vainqueurs des élections en Tunisie et en Egypte et en pleine progression en Libye.

Quel rapport avec la Belgique, me direz-vous ?

Partout dans le monde, là où les religions imposent leurs lois, les premières à être affectées sont les femmes.  Partout dans le monde, là où le voile a été imposé ou s’est imposé, cela a eu comme corollaire le contrôle des femmes et la limitation de droits des femmes. S’il y a des musulmanes qui sont brimées dans leurs libertés, c’est celles-là. Dans certains pays, celles qui prennent le risque de sortir têtes nues risquent gros. Ne nous voilons pas la face sur le contexte international

Mais nous sommes en Belgique. Nous avons cette chance de vivre dans une démocratie qui protège nos droits, et fort heureusement, et c’est le résultat de luttes historiques, nous sommes passés de la toute puissance du religieux à sa nécessaire mise à l’écart. Il est important de préciser que la liberté religieuse est bien respectée en Belgique. Dans l’immense majorité des situations de la vie sociale, le port de signes convictionnels ne pose pas de problèmes, parce qu’il relève tout simplement de la liberté d’expression la plus élémentaire : chacun d’entre nous peut manifester ses convictions religieuses ou philosophiques sans restrictions dans la sphère privée et l’espace public.

En réalité, les points de crispation autour des signes convictionnels se concentrent dans trois domaines, certes importants de la vie sociale, mais circonscrits : le monde du travail, l’école et la fonction publique.

Ce n’est donc pas de religion qu’il faut parler mais de politique.


S’il y a bien un principe fondamental, c’est la liberté d’expression des convictions, un droit fondamental consacré par la constitution et la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Certains diront que c’est de l’hypocrisie et que ce qui est visé, c’est le voile.

Aujourd’hui, nul ne peut ignorer qu’il y a un point de crispation autour du voile.

Sous  couvert de respecter, au nom de la liberté, les revendications communautaires ont été encouragées une vision machiste de la société – terrible pour les femmes. Oui le droit à la différence peut se muer en devoir d’appartenance.


Légiférer au nom de quoi ?

Au nom de la neutralité des services publics.

Concernant la fonction publique, il existe bel et bien des lois et des décrets qui statuent sur la limitation de l’expression religieuse ou politique : ce sont les lois et décrets sur la neutralité des services publics. Ces textes énoncent que les  agents des services publics doivent rendre un service  neutre aux usagers, et qu’ils doivent traiter ceux-ci de façon égale. Mais ces dispositions législatives ne statuent pas clairement sur la question de l’apparence de neutralité et d’impartialité. Des textes existants actuellement, il ne peut être tiré aucune règle claire sur la façon dont  ils doivent se présenter ou s’habiller (4).

La neutralité est le principe qui limite l’exercice de la liberté d’expression des agents. La neutralité signifie que, dans le champ des croyances et des convictions spirituelles, l’agent fasse preuve de réserve pour que chacun se sente traité à égalité par la puissance publique.

Exigence donc d’égalité mais aussi de loyauté de l’agent à l’égard de l’institution publique. Dans l’exercice de leurs fonctions, les agents se doivent de ne pas manifester, de manière ostensible, leurs convictions religieuses, philosophiques ou idéologiques.

But poursuivi : la confiance du public dans l’impartialité de son administration, garantir un traitement équitable du citoyen et un respect du pluralisme de notre société.

Certains argueront que la neutralité d’apparence ne constitue pas la garantie d’un service neutre mais c’est un pré-requis essentiel. Une apparence de partialité peut susciter un doute légitime chez l’usager, quant à l’aptitude de l’agent à être impartial. L’apparence joue un rôle important, quelle que soit d’ailleurs la motivation de la personne qui l’affiche. L’agent ne doit pas laisser penser qu’il prend une décision influencée par ses convictions religieuses. Ce qui est demandé à l’agent dans  l’exercice de sa fonction, c’est simplement une mise entre parenthèses de ses manifestations ostensibles convictionnelles.

Car, de quoi parle-t-on ?  Du service à la population.

Peu importe à l’usager d’un service public que l’agent soit athée, agnostique, musulman, bouddhiste, juif, animiste, chrétien, témoin de Jéhovah. C’est affaire privée. L’usager veut un citoyen ou une citoyenne en face de lui qui n’affiche pas ostensiblement de quel dieu ou non dieu il se chauffe.

Soyons clairs. L’employé qui porte un voile, une croix, une kippa fait-il moins son boulot. Non, bien sûr.

Quand vous dites que la neutralité est difficile à prouver et que l’usager qui vient dans une structure publique pourrait tout aussi bien dire qu’il ne veut pas être servi par l’agent parce qu’il est noir. On ne choisit pas de naître noir, jaune, rouge, vert, roux brun, petit, grand, yeux clairs, foncés. En principe, ni la couleur de la peau, ni le handicap ne permettent de déduire qu’une personne à telle ou telle croyance ou non croyance.

En revanche, le port d’un signe d’appartenance religieuse nous dit quelque chose sur l’orientation religieuse.


La mesure doit être nécessaire  (en ce sens besoin social impérieux) à la protection de la démocratie.

Depuis quelques années, le Conseil d’Etat, souvent saisi sur la question, renvoie au législateur ce même message. C’est au législateur d’agir car l’insécurité juridique actuelle n’est pas gérable. En l’absence d’une législation claire, les tribunaux appliqueront le principe « tout ce qui n’est pas interdit par la loi est permis », c’est-à-dire la logique de raisonnement de la CEDH.  L’affaire Hema est significative des dérives et du flou juridique. Non, on ne peut pas licencier une employée parce qu’elle porte le voile.


Interdire à qui ?

Au sujet des signes convictionnels dans la fonction publique, trois voies sont logiquement possibles :

•    l’interdiction pour tous les fonctionnaires en con;

•    l’interdiction pour les fonctionnaires en contact avec le public ;

•    l’interdiction pour les fonctionnaires exerçant une autorité sur les usagers.

Comme l’a rappelé la CEDH, trois conditions pour restreindre la liberté :

1.    seule une loi peut restreindre l’exercice d’une liberté (principe de légalité)

2.    la restriction doit être poursuivie dans un but légitime (principe de légitimité),

3.    la restriction doit être proportionnelle au but poursuivi (principe de proportionnalité c’est-à-dire nécessaire dans une société démocratique)


Ces trois solutions doivent être appréciées à l’aune de trois impératifs : un impératif de cohérence ; un impératif de faisabilité ; un impératif de proportionnalité. Aucune solution n’est parfaite.

Faut-il interdire à tous les agents  et préposés de l’autorité publique ?  Sans doute la plus claire. A ceux qui sont en contact avec le public ? Un agent peut être en contact avec un  public à un moment de la journée et pas à l’autre. A ceux qui ont une fonction d’autorité ?

Laisser la possibilité aux agents qui ne sont pas en contact avec le public aurait plusieurs conséquences de créer une inégalité de traitements entre agents,  entraîner une gestion difficile du personnel : quid de ceux qui circulent, qui sont promus à d’autres fonctions. Dans le cas du voile, il ferait coïncider port du voile avec carrière bloquée dans des fonctions subalternes et pas visibles. C’est déjà le lot de beaucoup de femmes. On le sait, les femmes d’origine étrangère souffrent beaucoup plus de discriminations même quand elles ont toutes les compétences requises.


L’interdiction totale est-elle disproportionnée par rapport au but poursuivi ?


Dans notre société caractérisée par une pluralité de convictions philosophiques ou religieuses, il faut une cohérence normative qui légitime l’Etat ainsi que son administration dans son rôle de défense de l’intérêt général et non des intérêts particuliers. C’est aussi cela la citoyenneté. Non pas des droits et devoirs différents sous prétexte d’appartenances culturelles, convictions religieuses et philosophiques mais l’acceptation des droits et devoirs pour tous. Certes, vous arguez qu’imposer l’apparence de neutralité à tous les agents relève d’une conception française de la laïcité. La laïcité ne serait donc pas soluble dans notre démocratie ?

Si nous voulons la richesse culturelle, la diversité culturelle, est-ce à travers le prisme religieux ? Si d’autres viennent avec leur kippa, leur turban, leur voile, pensez-vous que la société se porterait mieux ?  Vivrons-nous mieux ensemble si dans les services publics, les agents portaient la kippa ou la coiffe des juifs orthodoxes, un crucifix bien visible ; un  turban ou le couteau sikh, un  voile, un t-shirt d’athée ?   Il ne s’agit nullement d’anéantir la singularité culturelle ou l’individu, mais bien de les articuler au vivre ensemble.

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