Dix ans déjà ! Lettre de BELGIQUE : Ici, tout va bien.

Comment allait la Belgique il y a dix ans ? Pour répondre à cette question, Pierre Efratas et moi même adressions cette lettre au Mouvement Ni Putes Ni Soumises. Cétait en décembre 2005. Edifiant !

Lettre de BELGIQUE : Ici, tout va bien.

Salut, Sihem.
Ici, tout va bien. Tout. Pas de communautarismes, pas de violences quotidiennes contre les femmes, pas de machisme, pas d’obscurantisme, pas de fascismes, pas de relativisme, pas d’extrémismes, rien que de l’optimisme. D’ailleurs, les émeutes qui ont embrasé la France ces dernières semaines pourraient-elles toucher la Belgique ? Allons donc ! N’oublions pas que notre modèle d’urbanisme, exemplaire, se situe aux antipodes des sinistres banlieues françaises. Tout est riant, pimpant et sent le neuf et l’humain. L’intégration est telle que les quartiers populaires se trouvent parfaitement intégrés au coeur de la ville. Nous n’avons pas de Sarkozy pour tenir des discours incendiaires. Nous pouvons entièrement nous reposer sur notre politique préventive et sur les programmes sociaux mis en place depuis les émeutes de 91 à Forest, Saint-Gilles, Anderlecht et Molenbeek. Notre police de proximité, activement formée et promue, et nos éducateurs de rue, puissamment et constamment soutenus, disposent de tous les moyens pour instaurer dialogue et respect mutuels, et si vous en voyez certains qui sont un peu fatigués, nerveux, voire harassés, c’est normal, avec l’hiver qui vient. Il y a bien 15% de gens au seuil de la pauvreté, sans compter tous les autres, et des morts de froid chaque année, et aussi des jeunes pleins d’avenir qui ont trouvé du boulot dans le dialogue musclé, avec quelques accidents de travail à la clef, mais faut tout de même pas en faire du fromage, et chacun sait combien il en existe de ce côté du Quiévrain.
Non, non, Sihem : tout va bien.

Sur les violences faites aux femmes, il y a bien quelques cas aussi, mais tout de même, tu crois qu’on brûle des femmes chez nous, qu’on les vitriole à l’occasion, qu’on les frappe un peu ? N’en parlons pas trop, ça ferait un scandale. Tu penses vraiment que les mariages forcés et les crimes d’honneur sont présents sur notre territoire ? Certes, Il y a des pratiques traditionnelles et des dérives religieuses que nous trouvons barbares mais il faut être tolérants tout de même et respecter toutes les manières de vivre. Nous n’allons pas nous ingérer dans les moeurs traditionnelles et encore moins dans la vie privée d’autrui. Si certaines se font battre, si d’autres choisissent librement d’être collées à la maison, entre les gosses et la cuisine, voilées du haut en bas, surveillées dans leurs moindres déplacements par de grands frères quelque peu interventionnistes, ou embrigadées par de sympathiques patriarches musclés, il faut respecter la liberté individuelle. On est en démocratie tout de même ! Et puis, si certaines femmes ne se révoltent pas, c’est qu’elles aiment être soumises. C’est leur choix.

Des intégristes ? Allons, allons. Depuis le 11 septembre, la donne internationale a certes changé, mais ne nous affolons pas. Il y a des chefs religieux autoproclamés qui sont là pour ramener de l’ordre dans les quartiers et enseigner les règles fondamentales: les filles à l’intérieur, les garçons dehors pour surveiller et punir celles qui seraient tentées d’afficher leur féminité de façon trop voyante. Et puisque l’honneur de la famille est entre leurs cuisses et que certains garçons ont quand même parfois des problèmes avec leurs hormones de mâles en mal de pulsions, les filles n’ont qu’à accepter de faire des excursions détournées, honteuses, cachées, du côté de Cythère, avec l’épée de Damoclès par-dessus leurs têtes de pécheresses. Pas d’autre choix mais c’est leur choix et on ne veut pas le savoir.

Oui, tout va bien en Belgique. Il n’y a pas de quoi faire un foin avec la montée des intégrismes, des extrêmes droites noire, brune et verte, avec les sexismes de toutes étiologies, les amalgames guerriers de tous bords, les manifestations haineuses d’homophobie, de racismes multiples, anti Blacks, anti Blancs, anti Beurs, anti Feujs, anti Tout. Pas de quoi. Entre le Vlaams Belang à 25% en Flandre, le Front National qui monte en Wallonie et à Bruxelles, et les émules de Tariq Ramadan qui se répandent, des évangélistes sauce Bush qui commencent à pénétrer nos quartiers, des ultras qui veulent une Europe chrétienne, et des proclamateurs de choc de civilisations, non pas de quoi.

Stop !

Stop les discours autosatisfaits ou volontairement aveugles. Stop les petits conforts et les arrangements avec la réalité. Il y a urgence et tu nous pardonneras certainement le décalage quelque peu grinçant entre la réalité et les discours démissionnaires, tendance tout-le-monde-il-est-beau, tout-le-monde-il-est-gentil. Car en Belgique, comme partout en Europe, l’heure est venue de briser le silence et l’indifférence, de se mobiliser, d’agir.

Assez de passivité !
Face à la loi du silence qui règne dans nos quartiers et nos villes sur les discriminations et les violences faites aux femmes (violences intrafamiliales, physiques, verbales, polygamie, excision et infibulation, mariages forcés, crimes dits d’honneur, contraintes de la tradition, déni du corps féminin, agressions sexuelles, etc.), sur les dérives religieuses, sur le poids des traditions archaïques qui étouffent les femmes et endoctrinent les hommes, nous ne pouvons plus faire l’économie des actes.

Assez de clichés misérabilistes !
Nous voulons rendre la parole à celles et à ceux que la peur empêche de s’exprimer. Nous voulons alerter l’opinion et les pouvoirs publics pour briser l’omerta …pour que plus personne ne puisse dire demain : « on ne savait pas ! »

Assez d’abandons !
Nous ne pouvons pas, sous couvert de respect de la diversité, du différencialisme culturel et du particularisme, être par notre silence, complices de contraintes machistes qui asservissent les femmes et bafouent leurs droits les plus élémentaires.

Nous saluons le combat historique mené – et qui continue d’être mené par celles qui se sont soulevées pour défendre les droits des femmes. Mais, après plus de 50 ans de combats humanistes, l’heure de la pause n’a pas encore sonné. Il s’agit d’un nouveau combat pour toutes celles, et elles constituent une majorité, qui aspirent à un espace de liberté où exister, sans frôler les mûrs, sans se voiler l’esprit et le corps, sans être jugées par le tribunal communautaire, sans se soumettre aux lois sexistes, sans subir les violences ou les traditions qui nient leurs droits les plus élémentaires.

Assez de reculades !
Nous voulons dénoncer la régression du statut des femmes dans nos quartiers, dans nos communes, nos familles, nos écoles.

Nous avons décidé de ne plus attendre que cela aille de mal en pis. Nous avons décidé d’agir de toutes nos forces pour que la vie change pour nous, pour nos familles, pour nos quartiers.

L’heure est venue …

… pour chacune et chacun d’entre nous d’affirmer la mixité, la laïcité et l’égalité comme des valeurs incontournables de la démocratie ;

… de porter ces flambeaux, ces espaces de libertés et de tolérance dans lesquels chaque citoyenne, chaque citoyen, quels que soient son origine, son choix philosophique, son sexe, ses opinions, ses croyances, sa langue, sa culture, puissent vivre ensemble pacifiquement, dans le respect et l’égalité des droits et devoirs démocratiques ;

… de réaliser la laïcité qui préconise la liberté de conscience comme valeur, le libre – examen comme méthode, la séparation des religions et de l’Etat comme organisation, la croyance ou la non-croyance étant des choix intimes, personnels, laissé à la libre appréciation de chacun(e).

… d’entreprendre une action décidée sur le terrain. Face à une société où se multiplient les maux : replis communautaristes et/ou religieux, montée des extrêmes droites, fondamentalisme, racisme, antisémitisme, misogynie, recul inquiétant de la condition féminine, exclusion, pauvreté, délinquance, discrimination, obscurantisme, homophobie …

….d’agir ensemble !
….d’affirmer la responsabilité citoyenne, et de promouvoir la mixité sociale pour lutter contre les enfermements, les replis, les ghettos, la violence et la haine.

Alors, nous aussi, nous prenons la parole et nous vous lançons cet appel pour que dans chaque ville de Belgique, nos sœurs, nos mères, nos frères, nos amis, entendent ce cri de liberté et rejoignent notre combat pour mieux vivre dans nos quartiers.

Fatoumata SIDIBE,
Pierre EFRATAS,
Membres du Collectif Ni Putes Ni Soumises Belgique
09/12/2005

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