Jour : 9 décembre 2016

La prévention et la prise en charge des mariages forcés

Parlement francophone bruxellois
Interpellation de Mme Fatoumata SIDIBE, Députée bruxelloise DéFI, à Mme Céline Fremault, Ministre, chargée de la Politique d’aide aux personnes handicapées, de l’Action sociale, de la Famille et des Relations internationales. Concerne :     La prévention et la prise en charge des mariages forcés – 2 décembre 2016. La réponse est disponible ici. Chaque année, 15 million de filles de moins de 18 ans sont mariées de force dans le monde. Soit 28 filles chaque minute, une jeune fille chaque deux secondes. D’après les estimations de l’organisation des Nations unies, environ 700 millions de femmes et 150 millions d’hommes mariés dans le monde l’ont été de force avant leur majorité. D’ici 2030 le nombre de filles mariées sans leur consentement devrait passer de 700 millions actuellement à 950 millions.  Ces mariages forcés sont le début ou la continuité d’un cycle des discriminations et de violences.  Il s’agit d’une atteinte aux droits humains qui concerne tous les continents, y compris l’Europe.
Notre pays n’est pas en reste. Depuis 2001, la Belgique concrétise son engagement à lutter contre les violences faites aux femmes par un Plan d’action national (PAN) associant l’Etat fédéral, les Communautés et les Régions. Celui-ci est coordonné par l’Institut pour l’Egalité des femmes et des hommes. En 2010, le nouveau PAN a été élargi aux mariages forcés, les violences liées à l’honneur et les mutilations génitales féminines.
Les études menées ces dernières années ont démontré la difficulté de sortir le phénomène de l’ombre et du tabou. La dernière datant de 2012, effectuée par le professeur Andrea Rea et Nawal Bensaid (ULB) a révélé que, selon les chiffres officiels, les cas seraient très rares. Les mariages forcés ne représenteraient même pas 1% des mariages bruxellois. Sur 4000 mariages célébrés chaque année à Bruxelles, seuls 10 ou 20 seraient des mariages forcés.  Ce chiffre interpelle les acteurs de terrain qui sont confrontés à la réalité et au vu des cas signalés auprès des associations en charge des victimes de ces pratiques. L’étude souligne que le travail de terrain effectué est forcément le reflet de la fréquentation des associations  par les différents groupes. L’étude n’a donc pas eu d’accès à des populations (Pakistanais, Afghans, Albanais ou les Roms) qui fréquentent très peu les associations.
En 2014, l’International Centre for Reproductive Health (ICRH)  présenté une étude qualitative menée entre 2013 et 2014 sur la problématique en Belgique. Elle confirme l’existence de cette pratique tant chez les minorités ethniques installées depuis longtemps en Belgique que chez les nouveaux migrants. L’étude met l’accent sur la persistance des mariages précoces chez les populations Roms et Afghanes sur la nécessité d’une approche spécifique à leur encontre en matière de sensibilisation.
Il y a aussi des populations difficiles à atteindre comme les nouveaux arrivants, les personnes sans papiers. Dans une moindre mesure, les mariages forcés touchent également les hommes.
En 2007, la Belgique est devenue le deuxième pays européen à inscrire une incrimination spécifique du mariage forcé dans son ordre juridique. Elle stipule dans l’article 391sexies du Code pénal qu’ « il n’y a pas de mariage (…) lorsque celui-ci est contracté sans le libre consentement des deux époux et que le consentement d’au moins un des époux a été donné sous la violence ou la menace ».
Notre pays a également ratifié la « Convention européenne sur la violence à l’égard des femmes et la violence domestique», aussi appelée « Convention d’Istanbul.
Nous le savons, il est difficile pour les victimes de briser le silence, de sortir ce drame de la sphère familiale. Il y a donc des situations qui ne sont reprises ni dans les registres institutionnels ni auprès des associations. Il est difficile, sinon impossible de mesurer la part cachée du phénomène ; qui se révèle aussi parfois à travers les violences  conjugales. En effet, la police constate parfois que lors de plaintes pour coups et blessures, la victime a été mariée contre son consentement. Les conséquences sont lourdes en termes de coups, blessures, viols, séquestrations et autres violences.  C’est quand la victime est à bout qu’elle vient elle vient frapper à la porte de la police. Elle vient enfin demander de l’aide car c’est une question de vie ou de mort. Ces mariages peuvent tourner au drame.

Il y a aussi les mariages forcés contractés hors de la Belgique et on sait que le temps des vacances, c’est hélas pour certaines le temps des mariages forcés.  Il est très difficile pour les victimes de dénoncer cette violence psychologique et parfois physique car il s’agirait de porter plainte et de traîner sa propre famille en justice.  Et le conflit de loyauté est énorme.  Les personnes qui vous font du mal sont ceux qui vous ont élevés. Les victimes ne veulent pas traîner leurs familles en justice,  elles  veulent que les pressions s’arrêtent. Les victimes veulent réparation et cette réparation passe par l’écoute, la reconnaissance de leurs souffrances.

En juillet 2013, une ligne d’écoute téléphonique spécifique dédiée à cette problématique a été ouverte ; l’accueil téléphonique 0800 90 901 du Réseau Mariage Migration. Elle permet également l’information, l’orientation des usagers et le recueil de données.
Madame la Ministre, vous aviez affirmé en réponse à une question de mes questions écrites qu’en en 2014, et je cite : « le Réseau Mariage et Migration a reçu 115 appels dont 71 étaient liés à des situations migratoires, il s’agit de 23 cas de mariage forcé, 41 cas de mariage/relation impliquant un migrant ou une migrante (parmi lesquels 9 cas de relations avec violences), 4 cas de mariage gris, 1 mariage blanc et 2 cas d’excision. Les mariages forcés recensés par la ligne téléphonique ont été vécus majoritairement par des femmes (70 %). Cependant les hommes représentent tout de même 30 % des victimes de mariage forcé recensées par le Réseau Mariage et Migration. La majorité des victimes de mariage forcé sont âgées entre 18 et 25 ans (45 %). Le Réseau Mariage et Migration a également recensé un nombre significatif de victimes de mariage forcé n’ayant pas atteint la majorité (15 %). Les victimes de mariage forcé âgées de 26 ans et plus constituent également 15 % de notre échantillon. Les victimes de mariage forcé recensé par notre ligne téléphonique sont principalement originaires du Maghreb (40 %), suivi de l’Afrique Subsaharienne (20 %), de l’Asie du Sud-Est (15 %) et de l’Europe de l’Est (5 %). L’origine de la victime est inconnue dans 20 % des cas ».

A noter également le nombre important de demandes d’asile pour échapper au mariage forcé.
En 2015, vous me disiez que le Réseau mariage et migration avait reçu un subside de la Cellule égalité des chances de la Région Bruxelles-Capitale. Grâce à cette subvention, l’asbl devait élaborer un outil alternatif de collecte de données visant à recenser les cas de mariages forcés non seulement par le biais de sa permanence téléphonique, mais également par la capitalisation des demandes liées aux mariages forcés reçues par les associations-membres. Ce travail s’est étalé sur les années 2014 et 2015. L’objectif n’est pas d’obtenir des statistiques précises sur la question, mais bien d’évaluer s’il y a lieu de considérer que le phénomène est très rare ou, au contraire, relativement marqué sur le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les résultats devraient être connus dans le courant de 2016.

Un des thèmes majeurs du Plan intrafrancophone de lutte contre les violences faites aux femmes intégré au Plan d’action national 2015-2019 est la lutte contre les mariages forcés.

Enfin, par rapport à l’hébergement des personnes victimes de mariages forcés, vous disiez que votre objectif était de trouver des solutions rapides et efficaces à cette problématique via les quinze maisons d’accueil agréées par la Cocof.  
Madame la Ministre, la question de l’hébergement reste cruciale.  Car  les maisons d’accueil sont saturées et les listes d’attente longues. Ensuite, et cela reste une demande réitérée des associations de terrain, ces structures d’accueils de victimes de violences  conjugales et intrafamiliales ne conviennent pas toujours aux jeunes qui cherchent à échapper à un mariage forcé.  

Oui, le secteur demande un centre d’accueil spécifique pour les jeunes filles qui ont coupé tout lien avec leurs familles et  leur milieu d’origine et qui ont besoin d’un accompagnement spécifique pour se reconstruire, continuer leur scolarité.   Quand la jeune victime est placée dans un centre et qu’elle n’est pas bien, elle risque de fuguer, de reprendre  contact avec certaines personnes de leur entourage  et de s’exposer à des dangers. 
En cas de danger imminent, la victime est placée dans une maison d’accueil sur base de violences intrafamiliales. Si le danger n’est pas imminent, le secteur se débrouille pour trouver des solutions soit en dehors de Bruxelles dans un centre d’accueil, soit via des canaux informels.
Le secteur met également l’accent sur les mineures qu’il faut protéger, placées dans des homes, mises sous pression par une médiation avec la famille qui place la mineure dans une situation intenable. Et de noter que la médiation ne marche pas. Elle ne vaut que pour des parties égales. Ce n’est pas le cas entre un enfant et ses parents.
Par ailleurs, le secteur constate  la corrélation entre les campagnes de sensibilisation/formation et la hausse des appels téléphoniques et des prises de contacts.  Quand les campagnes s’arrêtent, les plaintes aussi disparaissent.
J’en arrive à mes questions :

  • Existe-t-il des chiffres récents concernant le nombre de cas répertoriés ou enregistrés ? Quels sont les résultats de l’étude relative à l’outil alternatif de collecte de données relatives aux mariages conclus sous la contrainte élaboré par le Réseau mariage et migration ?
  • Quels sont les derniers chiffres, profils des victimes et appelants de la ligne d’écoute téléphonique ?
  • J’entends bien que les services de police ne sont pas inclus dans vos compétences et que dans le cadre de la IVe Réforme de l’État, les Services d’Aide aux Victimes ainsi que les Services d’Aide aux Justiciables ont été transférés en 2014 vers la Fédération Wallonie-Bruxelles. Néanmoins, sans doute disposez-vous de données à ce niveau ?
  • Quelles sont les actions de prévention, sensibilisation menées auprès des acteurs de terrains, des publics cibles et auprès des jeunes filles et garçons, prioritairement, en milieu scolaire ?
  • Quelles sont les campagnes d’informations préventives menées ? Avec quel bilan ? D’autres sont-elles prévues ?
  • Existe-t-il des protocoles d’intervention ?
  • Quelle sensibilisation et formation des catégories professionnelles confrontées à de telles situations (agents communaux, travailleurs médicosociaux,enseignants, fonctionnaires d’état civil) et, plus précisément en rapport avec votre compétence de l’Action sociale, du personnel des centres de planning familial, des maisons d’accueil et des services d’aide à domicile ?
  • Quel est le montant du subside accordé au Réseau mariage et migration ?
  • Concernant l’accueil des victimes de mariages forcés, quelles sont les solutions proposées ? Maisons d’accueil ? Familles d’accueil ? Quelles sont les synergies entre le Réseau mariage et migration et les maisons d’accueil, susceptibles de pouvoir accueillir les personnes concernées ?

 

 

 

 

 

 

 

 

http://www.girlsnotbrides.org/about-child-marriage/