Proposition de résolution visant à intensifier la prévention des mutilation génitales féminines

Intervention de Fatoumata Sidibé, Députée bruxelloise, concernant sa proposition de résolution visant à intensifier la prévention des mutilations génitales féminines – 5 février 2019.
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Je me réjouis que mon texte soit agencé à  la veille d’un jour important, le 6 février  Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines. La lutte contre les MGF est un combat depuis de nombreuses années.  Je connais la problématique, je connais le terrain.<--break->


Les mutilations génitales féminines,  geste mutilateur de millions de filles et de femmes dans le monde, coupées, cousues, sacrifiées sur l’autel du patriarcat.
Ce sont des femmes et de filles qui sont amputées d’une partie de leur corps, mais aussi d’une partie de leur vie, car les conséquences physiques et psychologiques peuvent durer toute la vie, quand elles ne sont pas mortelles”. Toute forme de MGF constitue une violence grave à l’encontre des femmes et des filles et une violation flagrante de leurs droits fondamentaux, en particulier du droit à la vie, du droit à l’intégrité physique et mentale, du droit à disposer des meilleures conditions possibles de santé, du droit de ne pas être victime de discriminations ou de violences, ainsi que des droits de l’enfant. De nombreuses conventions internationales condamnent les mutilations génitales féminines et constituent le fondement juridique de l’abandon de ces pratiques. Je ne vais pas vous les citer. Je voudrais également rappeler  que des  résolutions ont été votées au Parlement européen, à l’assemblée générale des Nations-Unies. En Belgique, une loi punissant les MGF a d’ailleurs été adoptée en 2001. L’article 409 du Code pénal sanctionne d’une peine d’emprisonnement de 3 à 5 ans quiconque  quiconque aura pratiqué, facilité ou favorisé une mutilation GF avec ou sans consentement de cette dernière. Cette interdiction a une portée extraterritoriale puisque tout acte posé à l’étranger peut faire l’objet de poursuites en Belgique.  Un acte posé à l’étranger peut également être punissable une fois la personne de retour en Belgique
Des Propositions de résolution ont été votées au  Parlement francophone bruxellois, au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, à la Chambre des Représentants, un Plan d’action national de lutte contre toutes les formes de violence basée sur le genre.
Aujourd’hui, le combat continue dans une trentaine de pays d’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Asie où l’excision est pratiquée. Malgré les combats et les législations, en dépit des avancées obtenues au niveau législatif et sur le terrain, le nombre de femmes et de filles ayant subi une mutilation sexuelle dans le monde fait frémir. Elles seraient aujourd’hui 200 millions dans une trentaine de pays d’Afrique et du Moyen-Orient. En Europe, 500 000  femmes  et filles ont subi une mutilation génitale. Environ 180 000 filles sont à risque chaque année. En Belgique, selon la dernière étude menée par le Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles (GAMS), quelques 17 273 femmes et filles sont déjà probablement excisées et 8 644 sont intactes mais courent le risque de l’être car originaires de pays où l’excision st pratiquée. Ces chiffres ont doublé en cinq ans.
Je voudrais saluer travail des associations qui mènent un travail de prévention, de sensibilisation, de formation des professionnels, de prise en charge psychosociale, les formations des intervenants médicaux et sociaux car il y a encore une méconnaissance du phénomène.  Je pense au GAMS qui est sur tous les fronts ici et là-bas et qui  a initié le Réseau des stratégies concertées de lutte contre les mutilations génitales féminines, avec l’appui méthodologique de l’Observatoire du sida et des sexualités. Je pense aussi à l’association La Palabre très active au niveau européen et international.   Je pense à tous les bénévoles, militants qui donnent de leur temps pour faire régresser cette régression. Les besoins sont réels et les moyens ne suivent pas. Certes, il faut d’avantage soutenir financièrement et de manière pérenne les associations de terrain  qui sont en dialogue permanent avec les communautés exposées
Certes, il faut intensifier les campagnes de sensibilisation, d’information et de prévention à large échelle auprès des professionnels, des populations concernées et du grand public pour faire connaitre loi. Car si certaines personnes minimisent la portée de la loi, d’autres ignorent ou feignent d’ignorer que les MGF sont interdites en Belgique.
Nous savons que  les jeunes filles qui rentrent dans leurs pays d’origine risquent d’être excisées, parfois à l’insu de leurs parents.  En  matière de prévention et de sensibilisation auprès des familles des fillettes exposées, il y a ce  projet pilote initié avec l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE) et le Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles (GAMS) visant à sensibiliser les mères provenant d’un pays à risque via des animatrices communautaires dans les locaux de l’ONE.  Il faut continuer à  favoriser le dialogue entre les parents et les professionnels de la petite enfance afin de lutter contre les mutilations génitales féminines.
Cela fait des années que j’alerte sur le fait que l’arrivée de nouvelles populations originaires de pays où l’excision est pratiquée mérite d’intensifier les modes de préventions.
Car la pratique de l’excision est si ancrée dans les traditions culturelles qu’il est difficile d’imaginer qu’elle disparaisse en immigration, malgré les lois contraires du pays d’accueil. Il faut donc intensifier la lutte.
Je me suis rendue compte que de nombreuses femmes ignorent encore que les MGF sont interdites en Belgique. Il y a également de nombreuses femmes qui ne sont pas touchées par les associations existantes. Car ne les fréquentant pas. C’est pour cela que je plaide depuis de nombreuses années pour la mise en place d’un contrôle systématique des organes génitaux externes des petites filles à risque.
A chaque fois, on me répondait que l’on risque de stigmatiser certaines communautés.  Non seulement j’appelle cela du relativisme culturel,  mais sur le plan médical, le préjudice psychologique encouru par les fillettes examinées annuellement mis en avant comme une atteinte aux droits humains et une atteinte injustifiée à la vie privée est-il plus grave que celui résultant d’une mutilation sexuelle avérée ?
En matière d’asile, sur base d’un risque d’excision, le statut de réfugié peut être reconnu à une fillette intacte (et à sa famille) en Belgique. Afin de s’assurer que l’enfant ne subira pas de MGF après avoir reçu le statut de réfugié, le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) a mis en place un mécanisme de suivi annuel de l’intégrité des enfants bénéficiant de cette protection et de prévention. La/les personnes responsables signent un engagement sur l’honneur et s’engage(nt) chaque année à envoyer un certificat médical prouvant que leur fille n’a subi aucune mutilation génitale. Un tel suivi annuel ne concerne pas les filles “à risque” qui séjournent sur le territoire belge pour d’autres motifs ainsi que celles qui ont la nationalité belge ne sont pas soumises à un tel suivi annuel. La loi punissant les MGF a été adoptée en 2001.Pourtant, c’est comme une chape de plomb. En 17 ans,  en dépit de cet arsenal législatif, force est de constater l’absence de condamnations pour un tel motif dans notre pays. Comment contrôler et sanctionner ?  Etant donné qu’il était difficile pour le GAMS  l’impossibilité d’assurer en même temps des activités de sensibilisation et des actions de répression, l’association à initié et stimulé  la création d’un organisme indépendant qui « puisse revoir des signalements d’excision et les porter au besoin à la connaissance des autorités judiciaires.   En janvier 2009, l’association Intact a été crée afin de mettre en place une action judiciaire distincte  du travail de soutien aux femmes et aux familles. Mais toujours peu de signalements.
La DH de ce 22 janvier titrait « L’excision, un fléau dénoncé dans les colloques, mais pas à la Justice: zéro dossier en 2018 ». Le parquet de Bruxelles n’a plus ouvert un seul dossier pour excision depuis trois ans. Un seul en 2014, trois en 2013, deux en 2012 et un en 2010. Et à peine sept en dix ans.
Alors qu’en France, des procès retentissants ont eu lieu. Ici, rien à l’horizon. C’est le syndrome des trois singes « Je ne dis rien, je ne vois rien, je n’entends rien Et pourtant, les chiffres récents concernant le nombre de filles à risque (car originaires de pays où l’excision est pratiquée a doublé en cinq ans (4.084  en 2012 contre 8644 en 2018).  Quant aux femmes déjà probablement excisées, on est passé 13 112 en 2012 à  plus de 17 273 en 2018.  Ce sont les chiffres suite à la dernière étude de prévalence par le GAMS à la  demande de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes et du SPF Santé Publique.
Quant au Centre médical d’aide aux victimes de l’excision (CeMAVIE) au CHU Saint-Pierre, il continue à recevoir de nombreuses demandes  de  consultations, à pratiquer des interventions chirurgicales et des reconstructions clitoridiennes. La demande est là.
Dans le même temps,  l’article de Selon une information donnée dans un article de la revue médicale en ligne « MediQuality » en mars 2018, cliniques et médecins privés pratiqueraient également l’excision à Londres. Sur le territoire belge, des filles courent aussi le risque d’être mutilées. Sous couvert de correction vaginale, des médecins sur le territoire belge pratiqueraient l’excision sunnite consistant à l’ablation du capuchon du clitoris ; ce qui selon eux « n’est pas une clitoridectomie et ne viole donc pas la loi ». Ceci, donc par bienveillance et humanité, car « au motif de venir en aide aux personnes en détresse et leur faire éviter ainsi la pratique cruelle de la lame de rasoir, sur une table de cuisine ». Il n’y a pas d’excision minimaliste. Il y a excision. Point. C’est révoltant. C’est punissable.
Il y a un sérieux problème de dépistage et de signalements. La demande existe et il est illusoire de croire que cette pratique, si ancrée dans les mentalités, disparaitre aussi facilement. Cela fait des années que je plaide pour que puisse intensifier la prévention par un contrôle systématique des organes génitaux des filles à risque. « Certains autres pays européens ont rendu un examen médical obligatoire avant et après des voyages en cas de risque d’excision, ou encore lors des visites médicales scolaires ». L’examen systématique peut être un moment de « sensibilisation », de prévention et de protection.
À la suite de l’arrivée de nombreuses primo-arrivantes issues de pays concernés par les MGF et au regard de la dernière étude de prévalence de 2018 menée à la demande de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes et du SPF Santé Publique, les auteurs de la présente résolution estiment qu’il serait nécessaire de mettre en œuvre les recommandations de celle-ci. Le suivi de ces recommandations devrait permettre de mieux cibler les actions des services impliqués dans la protection des filles et d’assurer une meilleure prise en charge des complications gynéco-obstétricales et psychosexuelles des femmes excisées. En effet, il apparaît que les mécanismes actuels de prévention et de protection ne sont pas suffisants en Région de Bruxelles-Capitale. Le secteur associatif insiste sur la nécessité de l’organisation de cette table ronde pour qu’une fois pour toute, on décide de la meilleure stratégie.
Le dispositif demande au Gouvernement francophone bruxellois :

  • De prendre tous les contacts nécessaires avec les autres entités fédérées en vue d’établir un plan spécifique et concerté de lutte et de protection contre les MGF en Belgique et au sein de la Région de Bruxelles-Capitale;

 

  • D’organiser, en concertation avec les autres entités fédérées, une rencontre réunissant des experts nationaux et européens (en éthique, pédiatrie, médecine légale, droits de l’enfant, services de prévention de la petite enfance, médecine scolaire) en vue d’analyser la place de l’examen des organes génitaux externes dans la prévention et la protection des filles à risque et de décider de manière concertée l’approche choisie par la Belgique;

 

  • D’œuvrer, en concertation avec les autres entités fédérées, à la mise en place des campagnes périodiques d’information à large échelle afin de sensibiliser le plus grand nombre de personnes et de faire connaître le Centre Médical d’Aide aux Victimes de l’Excision (CEMAVIE) du CHU St Pierre à Bruxelles;

 

  • De proposer au Collège réuni de la Commission communautaire commune d’intensifier les formations et les séances de sensibilisation auprès des professionnels de soins de santé en contact avec des personnes exposées à un risque de MGF afin de les familiariser.

 

 

Je terminerai en disant qu’on ne peut plus décider de ne pas décider. Par peur de stigmatiser certaines communautés alors que fillettes issues de ces communautés courent le risque d’être mutilées ici ou ailleurs. Et ce dès le plus jeune âge.

 

Demain, c’est la Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines.

La tolérance zéro, c’est informer, sensibiliser, prévenir, former, protéger, contrôler, dénoncer, sanctionner, punir.