Carte Blanche publiée le 18 janvier 2013 dans l’édition électronique du Journal Le soir section opinions
Réfléchissons à la manière de gérer l’islam chez nous en pensant au Mali…
Il y a certains retours en arrière qui sonnent comme un glas. Nous sommes dans une période de régression sexiste, misogyne, homophobe, raciste, xénophobe, antisémite, obscurantiste, intégriste, extrémiste. Je suis inquiète. Inquiète de voir notre société fractionnée entre communautés repliées sur elles-mêmes. Inquiète d’une certaine classe politique qui s’est trouvée un nouveau prolétariat – les immigrés – et qui, au nom de la défense des opprimés, échange plus d’intégrisme pour croit-elle plus de paix sociale, sacrifie nos valeurs démocratiques sur l’autel de l’électoralisme et refuse de voir le masque extrême droitiste de l’intégrisme musulman. Inquiète de l’usage inapproprié de la terminologie « islamophobie » qui mélange la critique d’une religion et celle des musulmans. Si les propos, actes discriminatoires ou incitant à la haine raciale ou communautaire sont des délits condamnables par la loi, nous devons pouvoir jouir de la liberté d’expression de critiquer une religion, quelle qu’elle soit. Qu’on ne s’y méprenne pas, je suis également inquiète de la prolifération des églises évangélistes, de l’intégrisme catholique, des positions ultraconservatrices qui menacent les droits des femmes en Europe. De toutes nos forces, nous devons continuer à résister et à agir et ce, malgré les clameurs des fossoyeurs de la démocratie et le silence tout aussi assourdissant de certains démocrates. Ici et ailleurs, en Europe où les offensives religieuses tentent de faire restreindre nos libertés fondamentales mais aussi dans le reste du monde où les peuples découvrent les fruits amers du Printemps arabe. A l’heure où, je vous parle, le Nord du Mali, mon pays d’origine, est depuis avril 2012 sous le joug des islamistes. Le chaos géopolitique du Printemps arabe a précipité le Mali dans l’ère de la régression. Ansar Dine et Mujao; les autoproclamés défenseurs de l’islam, alliés à ‘Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), sèment la terreur au Mali : viols, lapidation, amputations, imposition du port du voile, destruction de mausolées à Tombouctou. Leur objectif : l’application de la charia, la loi islamique à tout le territoire malien. Depuis ce 11 janvier, avec l’appui de la France, de la CEDEAO et de la communauté internationale, le Mali est entré en guerre pour stopper l’avancée des terroristes djihadistes. Et pourtant, le Mali est une république laïque qui pratiquait un islam tolérant, même si les droits des femmes y figuraient parmi les moins enviables de la planète. Ce qui se passe au Mali n’est pas seulement un problème malien, il est international. La lutte contre l’intégrisme est l’affaire de tous. En tant que citoyenne belge, en tant que femme de culture musulmane, je pensais que notre société sécularisée, la Constitution et les lois du peuple belge allaient me protéger du fanatisme et de la régression obscurantiste. Mais en vingt ans, que de reculades, que d’abandons, que d’accommodements déraisonnables ! Une irresponsabilité politique qui, de fil en aiguille, a érigé autour des femmes un univers carcéral, les a réduites à des marqueurs identitaires, transformé les services publics et l’école publique en théâtre de revendications religieuses ou supposées telles, donné aux islamistes l’occasion de trouver dans certains quartiers populaires un terreau fertile à la propagation de leur idéologie obscurantiste. Les jeunes générations grandissent avec l’image de filles et de femmes portant, qu’elles en soient conscientes ou pas, un symbole d’aliénation et de soumission. Je le redis, toutes celles qui portent le voile ne sont pas soumises et que toutes celles qui ont les cheveux au vent ne sont pas libres mais ce bout de tissu sert bel et bien de flambeau et d’étendard aux islamistes ! Entre les tenants de l’interdiction d’interdire – certaines féministes qui veulent confiner les femmes musulmanes dans un statut parce que ce serait leur choix, une certaine gauche prête à tolérer l’intolérable au prétexte de ne pas stigmatiser des populations défavorisées, des formations politiques qui se disputent le titre de champion du communautarisme dans la course au succès électoral, une minorité vagissante d’agitateurs et d’activistes autoproclamés leaders de leur communauté, la Belgique nage dans un délire à peine voilé. Et pourtant, le Conseil d’État, les Cours et tribunaux, qui ne statuent guère sur le fond, ne cessent de mettre en garde les politiques sur le fait que ni les règles décidées par des instances administratives, les Conseils communaux ou provinciaux, ni les règlements d’ordre intérieur des écoles, ne disposent de la normativité suffisante pour limiter la liberté religieuse. Seul le législateur peut limiter la liberté religieuse. Tant qu’il n’interviendra pas, nous irons au devant de recours et décisions hétéroclites. Une insécurité juridique qui fait le bonheur de ceux qui ne souhaitent pas qu’on légifère, de sorte qu’ils pourront aller de recours en recours arguant que tout ce qui n’est pas interdit par la loi est autorisé. Ils se servent malignement des armes de la démocratie pour la combattre, évoquent les libertés individuelles pour tirer avantage des situations où la loi reste floue. Et c’est ainsi que les remparts de notre démocratie sont grignotés à chaque provocation. Et nous continuons à ergoter au niveau juridique, à gagner du temps au temps, cependant que petit à petit, l’eau perfore la roche. La Belgique, après avoir été le premier pays d’Europe à avoir introduit le voile au Parlement, vient de se démarquer par l’apparition d’un parti qui compte déjà deux élus et qui veut instaurer la Charia. Qui oserait prétendre que la Charia est compatible avec la démocratie ? Les infiltrés sont parmi nous, dans les coulisses et au-devant. Ils sont l’étendard d’un fanatisme qui instrumentalise la religion musulmane mais qui n’a rien à voir avec elle. Ce parti aux relents fascisants, comme certains groupuscules, renforce l’extrême droite dans son idéologie xénophobe. Les extrémismes, même en guerre, les uns contre les autres, se renforcent mutuellement. Pour tous, il faut un cordon sanitaire ! Ainsi, la présence d’assesseurs et de présidents de bureaux de vote arborant des signes d’appartenance religieuse, n’est plus ni moins qu’un tract politique ! J’entends certains rétorquer que l’interdiction des signes d’appartenance religieuse n’est pas la chose la plus importante pour le vivre ensemble. Je les rejoins sur ce point. Il est plus urgent de s’attaquer aux discriminations multiples auxquelles sont confrontées certaines composantes de la population en matière d’emploi, de logement, d’enseignement, de formation, de biens et services, de quartiers abandonnés. De nombreux citoyens ne croient plus à notre société qui ne leur donne pas les choses de s’insérer dignement. Je comprends, sans excuser, que certains jeunes aient comme ils disent « la haine ». Mais cela justifie-t-il que l’on utilise ces rancœurs et ressentiments pour rejeter en bloc l’Occident et asphyxier toute démocratie, tout progrès et toute liberté qui serait son produit ? C’est pourtant sur ces rancœurs que prospère l’islam des caves dont certains chefs religieux tiennent des discours qui n’ont rien à voir ni avec l’humanisme musulman, ni avec nos valeurs démocratiques. En Belgique, les pétrodollars financent des écoles où on enseigne une version radicale de la religion islamique. Ici et ailleurs, les mêmes causes provoquent les mêmes effets. A Bamako, la capitale du Mali, on a assisté ces vingt dernières années à une islamisation radicale portée par la prolifération de mosquées financées par l’Arabie Saoudite. Comme en Belgique, elles diffusent la doctrine du wahhabisme qui repose sur une interprétation rigoriste de l’Islam comme au temps du prophète. La longue marche de l’endoctrinement et du radicalisme est bien connue en Belgique de la Sûreté de l’Etat ! Mais, qu’on se le dise, il s’agit d’une minorité agissante qui n’a rien à voir avec la majorité des citoyens musulmans de ce pays. Il est impératif que l’on se soucie de la formation des professeurs de religion islamique, de la formation théologique des ministres du culte islamique. Aujourd’hui, certains citoyens, qu’ils soient d’origine étrangère ou belges de souche, sont séduits par une idéologie rétrograde et fanatique. Ce n’est pas d’intégration qu’il s’agit mais de désintégration. Depuis plusieurs années, malgré la mise en œuvre des projets de cohésion sociale, certains quartiers ont continué à se dégrader. Sans dénier des actions positives, quels bilans tirons-nous de ces politiques ? Le débat sur l’intégration me semble une hypocrisie dès lors que nous n’avons pas donné les critères, conditions, cohérence et accompagnement dans cette voie. Que souhaitons-nous comme modèle de société ? S’intégrer oui mais à quel modèle de société ? Quel choix opérer face aux discours différents tenus pas les formations et autorités politiques ? Quel est le minimum commun que nous voulons faire respecter quoi qu’il arrive ? L’Etat belge continue de se chercher une troisième voie entre le multiculturalisme anglo-saxon et l’interculturalisme à la française avec comme cadre juridique la laïcité de l’Etat qui sépare les religions et l’Etat, le droit et la foi. Le parcours d’intégration ? Non seulement le train n’est pas encore parti mais il part trop tard. Il sera indiscutablement nécessaire pour les nouveaux arrivants. Mais que fait-on de ceux qui sont installés depuis longtemps sur le territoire et qui sont dans les mêmes conditions que certains primo-arrivants ? Nous avons manqué de poser des actes sereinement. Aujourd’hui, il y a une paranoïa collective. Une peur de l’autre. La peur de la différence. Et je suis inquiète. Ce n’est pas seulement l’intégrisme qui érode les remparts de notre démocratie. C’est aussi le silence complice, les abandons, le relativisme, l’électoralisme. En tant que citoyenne belge de culture musulmane, féministe, laïque et antiraciste, à l’heure où partout dans le monde on assiste à des pressions obscurantistes de la part de toutes les religions, à l’heure où les uns comme les autres s’engouffrent dans les brèches ouvertes par les offensives des autres, j’accuse et je demande aux hommes et femmes politiques de prendre leurs responsabilités.
18 janvier 2013.
Fatoumata Sidibé Députée bruxelloise Cofondatrice et ex-présidente du Comité belge Ni Putes Ni Soumises Auteure et artiste peintre