Ce 8 mars, je fais trêve…

Ce vendredi 8 mars, journée internationale des droits des femmes, a lieu la première grève des femmes en Belgique.
Ce 8 mars, elles seront nombreuses dans les rues en solidarité avec toutes les femmes du monde entier. Elles marcheront contre le système patriarcal, pour défendre leurs droits et revendiquer une égalité réelle dans tous les domaines. Elles marcheront pour un monde meilleur car quand les femmes luttent pour défendre leurs droits, c’est toute la société qui en bénéficie.
Elles sont encouragées à faire grève dans tout ce qu’elles ont l’habitude de faire pour montrer que « quand les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête ». Cette grève des femmes, est un mouvement d’une ampleur à portée internationale. Une convergence des luttes des femmes d’ici et d’ailleurs. Une nouvelle vague féministe. Car partout dans le monde, les droits des femmes sont menacés de régression. Et la sororité est désormais le seul rempart. L’alliance des femmes sera leur plus grande force.

Ce 8 mars, pour la première fois en près de vingt ans, je fais trêve. Il n’y aura de ma part ni marche, ni slogans, ni banderoles, ni drapeaux, ni casseroles, ni fleurs, ni couronnes. Parce ce que je ne serai pas à Bruxelles. Ce sera un jour de trêve car en réalité, le 8 mars, c’est tous les jours.
Ce 8 mars, je me pose. Je regarde le chemin parcouru. Celui-là, je le connais. Celui à venir je sais qu’il sera une course de relais, qu’il faut passer le flambeau.

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été féministe. Ce n’était pas un choix mais une nécessité vitale. Pour moi, le féminisme est un humanisme. Il s’agit de refuser d’être déterminée par son sexe biologique, de lutter pour que chaque être humain soit égal en dignité, en respect, en droits et en devoirs. Toute petite, j’étais révoltée contre les injustices, les discriminations et les violences faites aux femmes. Je ressentais d’instinct qu’un autre monde était possible pour elles. Pour certaines, s’extraire de toute forme de domination est le projet de toute une vie.

Très tôt, la révolte s’est abattue sur moi comme une attaque de criquets sur un champ. A huit ans, j’étais déjà féministe sans savoir ce que signifiait ce mot. Je regardais, observais d’un œil perçant et sans complaisance la société malienne patriarcale, étrange syncrétisme d’islam et d’animisme qui, opprime les femmes et les musèle. Ma mère m’avait surnommée « Poudre de Piment »

J’ai eu une éducation entre un père qui brandissait la vertu et l’honneur en devise familiale, une mère conditionnée par les traditions dans une société où régnaient la solidarité, la générosité et la fraternité. Mais cette société était et est encore régie par les traditions, la loi islamique, les us et coutumes, l’obéissance à la norme et l’assignation à résidence identitaire sous l’œil omniprésent et impitoyable du tribunal communautaire.

Ma mère mit du zèle à faire de ses filles, de parfaites futures femmes. Après l’école, j’appris très jeune à aller au marché, à faire la cuisine pour une famille nombreuse, à habituer mes yeux à la fumée des feux de bois, à prendre les braises à mains nues pour les remettre dans l’âtre, à piler le mil, à lessiver à en avoir le dos endolori, à plumer les poulets, à balayer, à nettoyer, à récurer, à puiser l’eau du puits, à courir par ci, par là. J’étais tellement rapide et efficace que ma mère m’appelait autorail, Samantha Ma sorcière bien-aimée.

Très tôt, j’ai compris qu’un diplôme était un passeport pour la liberté. La solitude est un luxe en Afrique. Je me réfugiais dans les livres, je me mettais au lit à la même heure que les poules, pour rêver. Je me faisais la promesse de ne pas vivre la même vie que celle de nos mères. Toute petite, on apprend que la femme se doit, à l’instar du symbole des trois singes, ne rien voir, ne rien dire, ne rien entendre. Elle se doit d’être soumise aux règles édictées par les hommes et pour les hommes.

J’ai souvenance des chansons de mon enfance et des déclamations des griottes, qui telles des oies noires, célébraient le jour du mariage comme le plus beau jour qui était donné à vivre à une femme. Je garde l’image de la mariée, consentante ou non, voilée d’un tissu en coton blanc, pleurant comme une rivière pendant les crues. Je ne comprenais pas pourquoi le plus jour de la vie d’une femme était noyé dans les larmes, comme si le meilleur était derrière elle.

Aujourd’hui encore, dans les chansons des griottes, j’entends encore ânonner que le mariage est abnégation, sacrifice, soumission, souffrance, résignation. Que le destin de la femme est de souffrir. Que c’est par le biais de son mari qu’une femme peut entrer au paradis. Que le mariage et la naissance d’un fils sont les deux jours de gloire d’une femme. Qu’une femme peut donner naissance à un génie mais ne sera jamais elle-même un génie. Que pour ses enfants, la femme doit tout endurer encore et encore car ses sacrifices porteront chance à ses enfants. Un vrai lavage de cerveaux ! Aux filles démunies de bourses entre les jambes, les interdits, les enfermements, les injustices, les inégalités transmises de générations en générations par des mères qui n’ont connu que la douleur et l’abnégation et qui, telles certaines esclaves, ont intégré leurs chaînes comme normales et légitimes et ne veulent pas de la liberté, quand bien même elle leur était offerte.

Et ce n’est pas tout. Dans certaines ethnies, dès son jeune âge, toutes les précautions avaient déjà été prises pour calmer les ardeurs futures de la fillette. On procède aux sacrifices rituels. Une horde de femmes, transformées en bourreaux, exécutent le complot barbare criminellement ourdi. Tôt matin, on réveille la petite fille. Elle sait, l’intuition féminine est précoce, que quelque chose de pas religieux se trame. Son exécution est programmée et nul ne viendra interrompre le sacrifice rituel. Elles sont plus de 200 millions à subir cette torture. L’excision puisqu’il l’appeler par son nom. Un traitement inhumain dégradant, une atteinte fondamentale aux droits de l’homme. La forme la plus horrible du contrôle de la sexualité féminine. Ainsi coupées et cousues, elles seront des épouses soumises et des mères fécondes ; unique finalité de leur destin de femmes. C’est pour toutes les femmes du monde entier qu’il faut se battre. Car chaque femme opprimée rend possible l’oppression de l’autre.

Aujourd’hui, des centaines de milliers de femmes marcheront dans le monde. Pour tant de raisons. Mes pensées iront à cette jeune fille au village, portant un enfant dans le ventre, un sur le dos, un fardeau sur la tête. Pour qui la marche vers l’émancipation sera longue, très longue. Je veux qu’elle sache qu’il n’est pas possible que le destin de générations et de générations de femmes soit déterminé, qu’il y a une issue quelque part. Les mères opprimées ne sont pas destinées à mettre au monde des filles opprimées. On peut briser le cercle. Il n’y a pas de fatalité.

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