La discrimination à l’embauche

Parlement bruxellois

Interpellation de Mme Fatoumata SIDIBE, Députée bruxelloise FDF, à M. Didier GOSUIN, Ministre de l’Economie, de l’Emploi et de la Formation professionnelle.  Le compte-rendu est disponible ici.
Concerne :      La discrimination à l’embauche

La thématique que j’aborde cet après-midi est essentielle  mais encore plus  dans le contexte actuel où, au cœur de nos régions, de villes, de nos communes, des hommes et des femmes se sentent abandonnés et peinent à croire à une société qui ne leur donne pas suffisamment les chances d’émancipation sociale, les chances de s’insérer durablement et dignement et de partager une citoyenneté.

Oui, pour certains citoyens, l’ascenseur social est en panne Il y a désespérance sociale chez une partie de nos jeunes d’origines plurielle.

Qui dit désespérance dit errance, dit errance dit risque que les jeunes, risque qu’ils se replient sur eux-mêmes, sur leurs identités culturelles et religieuses, soient séduits par les chants des sirènes intégristes. Le sentiment d’abandon et d’une revanche à prendre, le sentiment de ne pas être entendu peut attiser le feu des extrêmes. C’est sur le terreau de la misère sociale que germent les intégrismes et tout cela, dans un contexte international qui apporte son lot d’exacerbation.  Sur le terrain, il y a beaucoup de revendications, de frustrations.

A l’heure où on est au tout sécuritaire, où on tente de trouver des mesures d’urgences pour pallier les d’années de non prise en compte de certaines réalités sociales, il est urgent de s’attaquer aux discriminations multiples auxquelles sont confrontées certaines composantes de la population en matière d’emploi, d’enseignement, de formation.

 

C’est une thématique d’autant plus difficile que la réponse est multidisciplinaire. Monsieur le Ministre, vous avez toujours plaidé pour rendre l’outil « enseignement et formation » plus en adéquation avec le monde économique, pour prendre en compte la sous qualification, le décrochage scolaire, le bilinguisme, etc. Nous savons aussi que le contexte économique est morose.

La discrimination à l’embauche n’est pas l’explication de tout. Mais elle est réelle.

Cela fait des années que la Belgique est pointée du doigt pour ses manquements en matière de non discrimination.

En 2011, une étude d’Eurostat sur les migrants en Europe situait la Belgique dans le peloton de tête des pays qui discriminent le plus, l’accent étant mis sur l’écart salarial, le seuil de pauvreté et l’écart entre la qualification et la formation. Cette étude d’Eurostat mettait l’accent sur la nécessité de prendre des mesures concrètes afin de réduire ces écarts entre  immigrés et Belges de souche et de lutter contre toutes les discriminations.

 Le taux d’emploi des étrangers en Belgique est un des plus faibles des pays de l’OCDE, selon un rapport provisoire remis aux ministres et administrations concernées. Il apparaît dans le rapport que sur le plan international, l’écart par rapport aux personnes nées dans le pays est l’un des plus larges. Ce constat d’hétérogénéité est très préoccupant chez les étrangers hors Union européenne, particulièrement chez les femmes. 

En outre, l’OCDE pointe l’impact plus élevé de la crise économique sur les immigrants en Belgique, ce qui appelle à un renforcement des politiques d’intégration. On mentionnera également que les non-européens ont des emplois plus précaires que les natifs, sont mieux représentés parmi les employés des secteurs public et privé. Ces constats sont partagés par Eurostat.

Des recommandations plus détaillées suivront, mais l’OCDE affirme d’ores et déjà la responsabilité de la ségrégation dans les écoles et l’absence d’objectifs chiffrés d’embauche des étrangers. 

Le Baromètre de la diversité de l’emploi, paru en 2012 n’est pas plus encourageant. Il y a d’abord un déterminant géographique qui impacte sur la discrimination à l’embauche à Bruxelles ; les jeunes ressortissants extracommunautaires, demandeurs d’emploi, se localisent dans les communes de la première couronne, plutôt au Nord de Bruxelles, qui font partie du croissant pauvre.

Tandis que les jeunes européens se retrouvent dans les communes de la première couronne, plutôt au Sud de Bruxelles, qui n’appartiennent pas au croissant pauvre.

 

Sur le plan de la qualification, être issu de l’immigration s’avère ici d’autant plus pénalisant que les jeunes sont dépourvus de diplôme. Avec l’élévation du niveau de formation, les disparités diminuent.

Par ailleurs, on observe que les écarts en termes de taux de sortie du chômage entre le croissant pauvre et le reste de la Région existent quel que soit le niveau de scolarité des jeunes, de telle manière que les jeunes issus du croissant pauvre ayant investi dans des études supérieures enregistrent encore une probabilité plus faible d’insertion que leurs homologues du reste de la Région.

La problématique se situe également au niveau des employeurs. Il apparait qu’un grand nombre d’entreprises et d’organisations n’investissent pratiquement pas dans la professionnalisation de leur procédure de recrutement et de sélection, et encore moins dans une procédure de sélection qui s’inscrirait dans une politique de diversité. Le rapport affirme que cette absence de procédures de sélection objectives et standardisées accroît le risque d’arbitraire et de discrimination à l’embauche.

 

Il faut donc qu’une politique de diversité soit ancrée structurellement pour la globaliser dans l’entreprise, et non la réduire à seulement des comportements individuels. Cette politique de diversité doit recevoir l’appui du management et des supérieurs directs. C’est l’adhésion du personnel que nous devons viser.  L’heure est à l’investissement dans les politiques de diversité, particulièrement lorsqu’on sait que la crise financière a un effet accélérateur sur les groupes précarisés.

 

Des solutions potentielles existent, et elles peuvent se penser et s’implémenter de manière intégrée. J’en citerai quelques-unes.

  • Le CV anonyme fut testé à l’époque où Monsieur Cerexhe était le ministre compétent, mais cette approche fut abandonnée bien qu’il offrît de nombreux espoirs. Ce dispositif semblait affublé de nombreux désavantages, notamment liés au coût du dispositif d’anonymisation, ou encore la dimension trop impersonnelle de la phase de sélection. Je pense toutefois que ce dispositif reste une solution possible pour passer le premier cap, et en cela il mérite une réévaluation afin de l’intégrer de manière structurelle et coordonnée, tel que je l’aborde dans l’introduction de ce propos.
     
  • Le « msytery shopping » est une approche défendable également. Il s’agit en d’un système mis en place pour vérifier l’application sur le terrain des mesures anti-discriminations prises par le secteur privé. Il consiste, par exemple,  à envoyer un « client mystère  » auprès des bureaux d’interim avec une demande volontairement discriminatoire. Cette initiative fut implémentée en Flandre dans un premier temps, mais la Fédération des Prestataires de Services de Ressources Humaines (FEDERGON) n’avait tenté l’expérience que pour ses membres exerçant leurs activités en Flandre. Bruxelles est pourtant le nœud gordien de ces défis et se doit de dégager des pistes pour mieux saisir le problème et son ampleur.  

 

  • J’aimerais également attirer votre attention sur l’ordonnance du 8 mai 2009 relative à la surveillance des réglementations en matière d’emploi instaure une procédure d’amendes administratives pour les infractions qui relèvent des compétences de la Région de Bruxelles-Capitale en matière d’emploi et, notamment, aux infractions à l’ordonnance du 4 septembre 2008. Cette ordonnance prévoit des sanctions, mais également des incitants pour ceux qui établissent les plans de diversité.

Comme vous l’aurez constaté, les initiatives en la matière sont légion. Je pourrais encore citer les guichets anti-discrimination. Pour ces derniers, l’heure est au bilan.

Revenons vers les objectifs du gouvernement.

La note d’orientation générale relative à l’emploi consacre dans son septième Objectif Stratégique,   l’importance de la lutte contre les discriminations et a le mérite de reconnaître que le marché de l’emploi est l’un des plus inégalitaires d’Europe.

Pour contrecarrer cette tendance, le Plan Diversités annoncé incitera les entreprises bruxelloises à intégrer des « objectifs quantitatifs visant l’embauche de personnes issues de quartier socio économiquement défavorisés.» C’est une mesure encourageante, mais elle est peu détaillée.

La Déclaration de politique Générale insiste sur la situation particulière à Bruxelles de  la grande majorité des jeunes, issue de l’immigration qui cumule des difficultés d’insertion socioprofessionnelle avec une persistante discrimination à l’embauche. La première priorité de ce Gouvernement, sera donc lit-on dans la DPG de redonner espoir à notre jeunesse.  Notamment via la Garantie pour la Jeunesse et le Contrat d’insertion.

 

Le gouvernement compte  poser des actes ambitieux, passer des bonnes intentions en faveur de la diversité aux actes concrets,  notamment via le Conseil de la non-discrimination et de la diversité. La charte pour la diversité, lancée en 2005, a pour première mission et premier objectif de voir la diversité reconnue par les employeurs, quelles que soient les différences, et de voir les employeurs prendre en considération les enjeux de la discrimination sous toutes ses formes. Cette charte doit être déclinée au travers d’actions concrètes via les plans de diversité au sein des entreprises privées et des organismes publics.

 

Pour qu’une évaluation d’une politique soit efficace, il faut une objectivation à priori de la situation sur le marché de travail et une évaluation à postériori des politiques mises en place.

Une des difficultés réside du fait que nous ne sommes pas partis d’une situation qui a été photographiée.  Sans données concernant les groupes concernés, il est difficile de concevoir les politiques adaptées et, le cas échéant, de réorienter les dispositifs après évaluation. Or en matière de discrimination liée à l’origine ethnique, les données dont on dispose se limitent à la nationalité. En cas de naturalisation, bon nombre de personnes d’origine étrangère sont reprises sous la nationalité belge. Or on le sait, il ne suffit pas d’avoir une carte d’identité belge pour ne plus être discriminé.

C’est pour cela, Monsieur le Ministre, que je voudrais obtenir les éclaircissements suivants :

 

  • Comment l’accès sera-t-il  mis sur la lutte contre les discriminations à l’embauche à travers la Garantie pour la Jeunesse et le contrat d’insertion ?
  • Quel type d’appui sera donné aux entreprises dans le cadre du « Plan Diversité » ? Une approche structurelle et intégrée sera-t-elle défendue ?  
  • Comment l’entité Actiris fera-t-elle la promotion d’une politique de la diversité sur le marché de l’emploi bruxellois ? L’urgence est réelle et nous devons nous montrer créatifs. Que peut-on espérer d’innovant en la matière ?
  • Pourriez-vous fournir un calendrier de ces mesures, ainsi que les indicateurs à moyen et long terme pour évaluer l’impact de ces mesures ?
  • Envisagez-vous une réévaluation du CV anonyme, ou l’initiative sera-t-elle définitivement abandonnée ?
  • Comme expliqué plus haut, le « mystery shopping » est une approche qui mérite notre attention ? FEDERGON a-t-elle finalement organisé l’action pour ses membres implantés à Bruxelles ?
  • Concernant l’ordonnance du 8 mai 2009 relative à la surveillance des réglementations en matière d’emploi, le ministre pourrait-il faire un bilan des infractions qui ont été constatées dans ce cadre ?
  • Pourrait-on avoir un état des lieux relatif aux guichets anti-discrimination chez Actiris? Des plaintes sont-elles encore déposées ? Les chiffres relatifs aux plaintes déposées en 2013 sont-ils disponibles ?   Vers où exactement sont orientées les plaintes, et quelles suites sont possibles ?
  • Sur quelles chiffres vous basez-vous pour évaluer le plan diversité, au vu de l’interdiction de collecter des statistiques stratifiée par ethnies ?
  • Dix ans après le lancement de la charte de la diversité en 2005, une évaluation est-elle prévue ? 
  • La DPG prévoie que les « Plans diversité » rédigés par les entreprises bruxelloises intégreront désormais des objectifs quantitatifs visant à l’embauche de personnes issues des quartiers socio économiquement défavorisés.  Ces entreprises bénéficieront prioritairement des aides économiques et autres leviers de la Région. Mais qu’en est-il de ceux qui bénéficient déjà de ces aides et qui ne respectent pas leurs engagements en matière de lutte contre les discriminations à l’embauche ?

 

 

 

Fatoumata SIDIBE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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