La lutte contre les mutilations génitales féminines

Parlement régional

Interpellation adressée à Bianca Debaets – 14 mars 2016
Concerne : La lutte contre les mutilations génitales féminines.  La réponse est disponible ici.
Les chiffres concernant la prévalence des MGF en Belgique sont en augmentation.Selon l’étude commanditée par le SPF Santé publique sur base des registres de population, au 31 décembre 2012, la Belgique compte plus de 48.000 femmes et jeunes filles originaires d’un pays où l’on pratique traditionnellement les mutilations génitales contre 22.840 au 1er janvier 2008.

Plus de 13.000 femmes seraient très probablement excisées sur notre territoire contre 6.260 au 1er janvier 2008. Plus de 4.000 filles sont considérées par les autorités comme potentiellement à risque alors que ce chiffre était de 1975 au 1er janvier 2008.

Ces chiffres sont une sonnette d’alarme. Ce phénomène est donc en net augmentation. Cela est dû à l’arrivée de femmes originaires de pays où l’excision est traditionnellement répandue ainsi que la naissance d’une deuxième génération dans ces communautés.  Les femmes arrivées adultes et déjà excisées, en âge de donner elles-mêmes naissance, doivent être un public à cibler de manière privilégiée.

Depuis 2001, la Belgique dispose d’une loi condamnant les mutilations génitales féminines. L’article 409 du Code pénal sanctionne d’une peine d’emprisonnement de trois à cinq ans « quiconque aura favorisé toute forme de mutilation des organes génitaux d’une personne de sexe féminin, avec ou sans consentement de cette dernière ». La tentative est également punissable.

Cette loi a également un caractère d’extra territorialité : un acte posé à l’étranger, sous les pressions de la famille lors d’un retour au pays, peut également entraîner des poursuites en Belgique.

Depuis juillet 2014, la loi permet de punir aussi les personnes qui incitent à cette pratique ou qui en font de la publicité.

L’Assemblée générale des Nations-Unies a adopté le 20 décembre 2012, une résolution 67/146 (soutenue par la Belgique) interdisant les MGF à travers le monde.

Cependant, depuis l’entrée en vigueur de la loi belge, il y a plus de 15 ans, très peu de plaintes ont été déposées et aucune n’a donné suite à des poursuites judiciaires.

En 2013, une recherche-action menée par le réseau des stratégies concertées de lutte contre les MGF et soutenue par la FWB (De Brouwere et al. 2013) montre que le nombre de signalements d’enfants à risque d’excision, notamment à l’occasion d’un retour pendant les vacances, augmente.

Ainsi, 52 cas ont ainsi pu être recensés entre le 1er janvier 2009 et le 30 juin 2013. La majorité des signalements se concentrent sur les années 2012 et 2013.

En matière de mutilations génitales, les plaintes sont rarissimes.

“Selon le parquet de Bruxelles, aucun dossier pénal n’a été ouvert en 2008 et 2009 concernant cette problématique, contre un dossier en 2010; zéro en 2011; deux en 2012; trois en 2013 et 1 en 2014”

Le 13 janvier, la presse nous informait que la parquet n’a pas ouvert un seul dossier d’excision en 2015. On aimerait croire que cela signifie qu’il n’y a pas de cas d’excision mais ce serait trop beau.

Comment expliquer cette situation ? Pourquoi tant de frilosités ? La pression sociale, la crainte de représailles et le caractère tabou de la pratique au sein des communautés concernées sont une grande part de l’explication.

On relate dans la presse qu’il « y a deux ans, le futur procureur du roi de Bruxelles, Jean-Marc Meilleur, considérait que ce décalage traduisait pour le moins un problème sérieux et récurrent de dépistage par les intervenants médicaux et scolaires ».

Sur le territoire belge, se pose la  question  de l’efficacité  de la détection de cette pratique  barbare et de la levée du secret professionnel par les médecins et enseignants.

Un autre fait inquiétant est le relativisme culturel qui vise à justifier ou accommoder certaines pratiques néfastes au nom de la tradition, sévit toujours. Il y a peu, dans un récent article du Journal of Medical Ethics, deux gynécologues américains ont émis l’idée horrible de rendre l’excision « minimaliste » c’est-à-dire pratiquer une incision sur le capuchon du clitoris sans pratiquer une ablation complète.   « Ce qui permettrait selon eux, de pallier le «  manque de sensibilité culturelle  » de l’Occident en respectant certaines obligations culturelles et religieuses sans mettre en danger la santé et le fonctionnement des organes génitaux des femmes.

J’appelle cela du racisme et du sexisme à rebours comme si les femmes de ce pays devaient être abandonnées au sort que leur réserve leurs traditions et leur culture. C’est tolérer l’intolérable. C’est oublier aussi que quand l’excision n’est pas bien faite, on dit que la fille n’est pas propre et elle risque de se faire ré-exciser plus tard.

C’est minimiser la signification de ce geste mutilateur de millions de filles et de femmes dans le monde, coupées, cousues, sacrifiées sur l’autel du patriarcat. Un geste cristallisant toutes les autres formes de violence et d’oppression dont sont victimes les femmes : rapports inégalitaires de genre, mariages forcés ou précoces, polygamie, contrôle de la sexualité, violences physiques, psychologiques. D’où l’importance de sensibiliser. Exciser, c’est exciser. Point !

Hélas, la pratique de l’excision est si ancrée dans les traditions culturelles qu’il est difficile d’imaginer qu’elle disparaisse en immigration, malgré les lois.

Il y a une communauté importante de femmes en provenance de pays ou l’excision est pratiquée : Guinée Conakry, Somalie, Soudan, Ethiopie, Egypte, Côte d’Ivoire, Sierra Leone, Sénégal, Burkina Faso,  Mali, Mauritanie.

Sur le terrain, j’entends des femmes me dire qu’il existe des excisions clandestines.

On n’a aucune preuve qu’elle est pratiquée en Belgique mais on sait que durant les vacances, des fillettes et même des bébés sont excisés dans le pays d’origine. Sans doute aussi dans certains pays européens où les lois sont moins strictes….comme Londres par exemple. Si les suspicions sont plus fortes lors d’un voyage dans le pays d’origine, dans le cas de voyages en Europe, la méfiance est moins de mise.

Face à la demande, on est en droit de craindre que certains médecins ne cèdent pour motifs culturels.

Je rappelle qu’en 2007, un sondage réalisé par le GGOLFB (Groupement des gynécologues obstétriciens de langue française en Belgique) auprès de 254 membres du groupement a révélé que huit demandes d’infibulation avaient déjà été formulées cette année-là.

Plusieurs médecins (gynécologues et urologues) avaient été confrontés à des demandes d’excision de la part de parents pour leurs enfants.

On peut s’interroger si les mécanismes de prévention et de protection sont suffisants. Si les professionnels connaissent bien ou mal la problématique ? S’ils s’interrogent sur leur rôle, leur obligation ou pas au secret professionnel, l’intérêt de l’enfant, l’approche la plus adaptée, les moyens de protection adéquats,…

Peut-on pointer le malaise des professionnels : médecins, enseignants, éducateurs quand ils constatent ou suspectent une mutilation et qui s’interrogent sur leur rôle, leur obligation, l’approche la plus adéquate.

Peut-on  pointer le manque d’information et de formation des acteurs judiciaires au sens large (y compris la police) qui ne sont pas outillés pour détecter les situations de danger ?

Vu l’abaissement de l’âge de l’excision, les associations qui luttent contre les mutilations sexuelles féminines avaient demandé de procéder à un examen systématique des organes génitaux externes des enfants – plus particulièrement ceux des petites filles – lors des consultations des nourrissons de l’ONE, à l’instar de ce qui se passe en France et en  Espagne.   Un tel examen devrait être effectué aussi et chaque fois que les fillettes reviennent de l‘étranger.

Les associations spécialisées dans la lutte contre les MGF (INTACT, CL-MGF et GAMS), via les Stratégies Concertées de Lutte contre les MGF (SC-MGF), ont décidé de mettre au point un « kit de prévention des mutilations génitales féminines » afin de faciliter l’accès à l’ensemble des outils de prévention des MGF disponibles en Belgique. Ce kit contient notamment les outils/documents suivants :   la carte mondiale des prévalences MGF, le « passeport STOP MGF » rappelant la loi belge concernant les MGF et réalisé avec la collaboration des SPF Justice, SPF Santé et SPF des Affaires Etrangère,  un triptyque reprenant les critères d’évaluation du risque, l’échelle de risque et l’arbre décisionnel: télécharger, une guide d’entretien avec les filles et leur famille, un modèle d’un certificat médical qui peut être rédigé après examen, avant un départ en vacances , la brochure « Le secret professionnel face aux MGF , un  guide à l’usage des professions concernées.

On le voit, le secteur associatif est très actif même si on peut déplorer le manque de moyens financiers aux quels ils font face.

En juin  dernier,  vous  aviez  présenté  une  nouvelle  formation  à  destination  des  médecins  et  du  personnel soignant. L’objectif étant de renforcer l’accueil et la protection des victimes potentielles de  mutilations génitales.

  • Quels sont les aspects abordés lors de ces formations ? Quel en est le bilan ? A qui sont-elles destinées? Quelles sont les structures qui y ont participé, comme formateurs ou formés ?
  • Est-ce  que l’examen systématique des organes génitaux externes des enfants – plus particulièrement ceux des petites filles – lors des consultations des nourrissons de l’ONE, est réalisé ?
  • Qu’en est-il des soutiens accordés aux associations de terrain ?
  • Quelles sont les collaborations avec les autres niveaux de pouvoir ?
  • Avez-vous des chiffres récents à nous communiquer concernant les opérations de reconstitutions du clitoris et désinfibulations ?
  • Enfin, quelle est votre politique en matière de lutte contre les MGF ?

 

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