La dénomination des rues, symbole de domination masculine ?

5  février 2019, dans Télémoustique : La dénomination des rues, symbole de domination masculine ?
La dénomination des rues, symbole de domination masculine ?

Aux Pays-Bas, la ville de Rotterdam a décidé de donner plus de noms de femmes et de personnes issues de minorités ethniques à ses rues, quasi exclusivement baptisées en mémoire d’hommes blancs. Une idée à appliquer chez nous ?


Pour toutes les personnes friantes de city-trip mais allergiques à l’invasion touristique, Rotterdam fait figure de destination de choix. Plus proche de nos frontières que sa « rivale » Amsterdam, la deuxième ville des Pays-Bas (650 000 habitants) est certes moins charmante, mais beaucoup plus dépaysante.

Quasi totalement détruite à la suite de la Seconde Guerre mondiale, Rotterdam s’est construite la réputation de ville à l’architecture moderne et audacieuse. De fait, ses nombreuses tours érigées en plein centre-ville et au bord de l’eau légitiment parfaitement son surnom de « Manhattan op de Maas » (« Manhattan sur la Meuse », la cité se situant au confluent de la Meuse et du Rhin). Vivantes et dynamiques, les rues du centre proposent une multitude de magasins, de restaurants aux cuisines traditionnelles ou exotiques, et d’innombrables cafés où s’ambiancer avant de sortir faire la fête dans l’un des nombreux clubs nocturnes qui font la réputation de l’agglomération.

L’une des artères les plus fréquentées et festives de Rotterdam s’appelle la Witte de Withstraat. Elle porte le nom d’un ancien un amiral de la marine, personnage très « controversé » de l’Histoire des Pays-Bas pour son rôle prépondérant dans le colonialisme néerlandais. L’été dernier, une association féministe (« De Bovengrondse« ) y avait installé de faux panneaux pour la transformer brièvement en « boulevard Beyoncé« . Un hommage à la star américaine, féministe engagée et « figure people » du mouvement Black Lives Matter. Une action qui a inspiré certains élus politiques… 

« L’homme blanc disparaît » 

Soutenue par les partis Groenlinks (gauche verte), SP (gauche radicale), PvdA (sociaux-démocrates) et Nida (parti musulman), Nadia Arsieni, élue du parti centriste D66, a proposé de ne donner désormais aux nouvelles rues que des noms de personnalités féminines et issues de minorités. Selon une étude commandée par son parti, 8 % seulement des voies de la métropole néerlandaise portent le nom d’une femme, 0 % celui d’une personne aux origines culturelles différentes… Sa demande a été acceptée, et la mairie veut l’appliquer dès maintenant.

Mais comme il fallait s’en douter, tout le monde n’a pas vu la proposition d’un bon œil. “Femmes et minorités ont la priorité. L’homme blanc disparaît des rues de Rotterdam”, titrait, larmoyant, le quotidien de sensibilité de droite De Telegraaf. Pourtant, il ne s’agit pas d’effacer les anciens noms de rues – comme il en est question chez nous par rapport à « l’héritage urbanistique » du roi Leopold II (noms de voiries et statues) – mais bien d’en nommer les nouvelles, et pas dans 100% des cas. Jantje Steenhuis, président de la commission des noms de rues de Rotterdam, a précisé à la télévision locale RTV Rijnmond que, dans certains cas, il n’y aurait de toute façon pas le choix, prenant l’exemple d’un terrain urbanistique situé sur le site d’un ancien hôpital, où les rues porteront les noms d’anciens médecins blancs.

Qu’en est-il du Plat pays?

En Belgique, l’attribution des noms de rues est une compétence communale. Aucune proposition semblable ne figurait dans « les priorités » des programmes électoraux lors du scrutin d’octobre dernier, mais l’initiative rotterdamoise pourrait (devrait?) inspirer certains élus de grandes villes du pays. Les femmes – comme partout dans le monde – ne représentent-elles pas la moitié de la population belge ? Les rues – nom féminin – sont pourtant majoritairement masculine : en Belgique francophone, 10 fois moins de rues portent des noms de personnalités féminines.

« Pour que la ville appartienne aux femmes, il faut aussi que la ville les rende visibles. Dans la conception patriarcale de notre société, les femmes ne sont que locataires de l’espace public, qui reste le terrain des hommes« , estimait en juillet dernier Fatoumata Sidibé (DéFI). La députée a déposé un projet de résolution pour plus d’équilibre dans les noms de rues de la capitale. Une résolution présentée à la rentrée en commission des Finances et des Affaires générales . « Cette mesure est positive. Elle met en avant des femmes, ce qui renverse la tendance actuelle où l’on ne montre les femmes que comme des victimes. » 

On a aussi vu au cours des dernières élections que la diversité culturelle franchissait (enfin) l’obstacle de la représentativité politique, notamment en Région bruxelloise où l’on dénombre désormais quatre bourgmestres d’origine étrangère sur un total de 19 communes. Si un homme issu d’une minorité ethnique peut occuper le siège de maïeur, pourquoi un autre ne pourrait-il pas avoir une rue baptisée en son honneur ? Faut-il vraiment poser la question ?

 

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